L’Empire ottoman et les buveurs de café : une histoire peu connue mais fascinante !

L'Empire ottoman et les buveurs de café : une histoire peu connue mais fascinante !

Il est maintenant temps de voir un aspect peu connu mais captivant de l’histoire de l’Empire ottoman, à savoir le sort réservé aux buveurs de café et les répercussions sociales, économiques et politiques de cette boisson sur la vie quotidienne au sein de l’empire.

Si aujourd’hui le café est devenu une boisson incontournable et appréciée par des millions de personnes à travers le monde, il n’en a pas toujours été ainsi.

Au sein de l’Empire ottoman, en particulier, la consommation de café a été l’objet de nombreux débats et controverses, allant jusqu’à provoquer des répressions et des interdictions.

Plongeons ensemble dans cette histoire fascinante et méconnue, qui nous permettra de mieux comprendre les enjeux et les contradictions qui ont traversé la société ottomane au fil des siècles.

Le café : une boisson d’origine orientale et controversée

Tout d’abord, il convient de rappeler que le café est une boisson d’origine orientale, dont les premières traces remontent au XIVe siècle en Éthiopie, avant de se propager rapidement dans la péninsule Arabique et de gagner l’Empire ottoman au XVIe siècle.

Dès son introduction dans l’Empire ottoman, le café fait l’objet de vives controverses en raison de ses propriétés stimulantes et de ses effets sur la santé. D’un côté, les partisans du café vantent ses vertus médicinales et ses bienfaits pour l’éveil et la concentration, tandis que de l’autre, ses détracteurs l’accusent de provoquer des troubles du sommeil, des palpitations et même des crises d’épilepsie. De plus, le fait que le café soit une boisson non-alcoolique provoque un débat religieux, certains responsables religieux estimant que sa consommation est licite, tandis que d’autres la considèrent comme illicite et malsaine.

Ainsi, dès le début de son histoire au sein de l’Empire ottoman, le café fait l’objet d’un débat passionné et contradictoire, qui reflète en réalité des enjeux beaucoup plus profonds et complexes. Comme nous allons le voir, cette controverse s’inscrit dans un contexte social, économique et politique particulièrement mouvant et instable.

Les kahvehane : lieux de convivialité et de sociabilité, mais aussi de tensions et de surveillance

Le lieu par excellence où l’on consomme du café dans l’Empire ottoman est le kahvehane, sorte de café au sens moderne du terme, où les citoyens se retrouvent pour discuter, jouer aux cartes ou aux échecs, écouter de la musique ou des récits, voire assister à des spectacles de danse ou de marionnettes.

Les kahvehane sont ainsi des lieux de convivialité et de sociabilité, qui jouent un rôle essentiel dans la vie quotidienne et les relations sociales au sein de l’empire.

  1. Les kahvehane sont fréquentés par une clientèle essentiellement masculine, mais aussi par des femmes et des enfants, notamment dans les quartiers populaires et les zones rurales. Ce sont des espaces ouverts à tous, sans distinction de classe sociale, d’origine ethnique ou confessionnelle. On y côtoie aussi bien des commerçants et des artisans que des lettrés, des religieux, voire des membres de l’élite politique et militaire.
  2. Les kahvehane sont des lieux où se nouent et se dénouent les alliances et les rivalités politiques, où s’échangent les informations et les rumeurs, où se propagent les idées et les opinions. Ils constituent donc un enjeu stratégique pour le pouvoir central, qui cherche à contrôler et encadrer ces espaces de parole et de débat.
  3. Enfin, les kahvehane sont des lieux de tensions et de conflits, tant internes qu’externes. Les rivalités entre les différentes factions et les tensions sociales qui traversent l’Empire ottoman se reflètent et s’exacerbent dans ces espaces de sociabilité. Par ailleurs, les kahvehane sont régulièrement la cible de critiques et de condamnations de la part des autorités religieuses et politiques, qui les accusent de favoriser l’oisiveté, la débauche et la subversion.

C’est dans ce contexte de tensions et de surveillance que se développe la consommation de café au sein de l’Empire ottoman, avec toutes les conséquences et les répercussions que cela implique.

Les interdictions et les répressions : une histoire mouvementée et paradoxale

Au cours de l’histoire de l’Empire ottoman, la consommation de café a fait l’objet de plusieurs interdictions et répressions, qui témoignent de la complexité et des contradictions de cette question.

Ces interdictions et répressions peuvent être classées en trois grandes périodes :

  • La première période, qui s’étend de la fin du XVIe siècle au début du XVIIIe siècle, est marquée par des interdictions successives et des répressions sévères, notamment sous les règnes de Murat III (1574-1595), Mehmet III (1595-1603) et Ahmet Ier (1603-1617). Ces souverains cherchent à imposer un contrôle strict sur la consommation de café, qu’ils considèrent comme une menace pour la santé publique et l’ordre social. Ils ordonnent la fermeture des kahvehane, interdisent la vente et la consommation de café, et infligent des peines sévères aux contrevenants, allant jusqu’à la peine de mort.
  • La deuxième période, qui s’étend du début du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle, est caractérisée par une certaine tolérance et une libéralisation progressive de la consommation de café. Les interdictions et les répressions deviennent moins fréquentes et moins sévères, tandis que les kahvehane se multiplient et se diversifient. Cette évolution est liée à un assouplissement des moeurs et des mentalités, mais aussi à des enjeux économiques et politiques, notamment la nécessité pour le pouvoir central de prélever des taxes sur la vente et la consommation de café.
  • La troisième période, qui s’étend du milieu du XIXe siècle jusqu’à la fin de l’Empire ottoman en 1922, est marquée par une normalisation et une banalisation de la consommation de café, qui devient une boisson courante et populaire, à l’image du thé ou du raki. Les interdictions et les répressions sont désormais exceptionnelles et anecdotiques, tandis que le café est intégré dans la vie quotidienne et les rituels sociaux de l’ensemble de la population.

Cette histoire mouvementée et paradoxale témoigne de la complexité des enjeux et des contradictions qui entourent la consommation de café au sein de l’Empire ottoman, et qui reflètent en réalité les tensions et les défis auxquels la société ottomane est confrontée tout au long de son histoire.

Le café, un symbole de l’évolution et de la modernisation de la société ottomane

En dépit des controverses et des répressions qui l’ont émaillée, l’histoire du café dans l’Empire ottoman peut être envisagée comme un symbole de l’évolution et de la modernisation de la société ottomane, du XVIe siècle à la chute de l’Empire en 1922.

Cette évolution se manifeste à plusieurs niveaux :

  • D’un point de vue économique, la consommation de café a contribué au développement du commerce et des échanges entre l’Empire ottoman et les autres pays d’Europe et d’Orient. Le café est devenu une denrée précieuse et recherchée, qui a favorisé la croissance du commerce international, mais aussi la diversification et la spécialisation des métiers et des compétences liées à la production, la transformation, la distribution et la consommation de cette boisson.
  • D’un point de vue social, la consommation de café a contribué à la démocratisation et à l’égalitarisation des relations sociales au sein de l’Empire ottoman. Les kahvehane ont joué un rôle essentiel dans la création et le renforcement des liens entre les individus, les groupes et les communautés, en favorisant la mixité sociale, ethnique et confessionnelle, mais aussi en permettant l’expression et la diffusion des idées, des opinions et des aspirations de chacun. Ils ont ainsi contribué à l’émergence d’une société civile et d’une opinion publique, qui ont constitué des forces de changement et de modernisation au sein de l’Empire ottoman.
  • D’un point de vue culturel, la consommation de café a contribué à l’enrichissement et à la diversification des pratiques et des expressions artistiques, littéraires et intellectuelles au sein de l’Empire ottoman. Les kahvehane ont été des lieux de création, de transmission et de partage des savoirs et des savoir-faire, qui ont nourri le dynamisme et la créativité de la culture ottomane, en dialogue avec les autres cultures de l’époque, tant occidentales qu’orientales.
  • D’un point de vue politique, enfin, la consommation de café a contribué à l’évolution et à la modernisation des institutions et des modes de gouvernance au sein de l’Empire ottoman. Les controverses et les répressions liées au café ont révélé les tensions et les contradictions qui traversaient la société ottomane, mais aussi les défis et les enjeux auxquels le pouvoir central était confronté. En cherchant à contrôler et encadrer la consommation de café, les autorités ottomanes ont été amenées à repenser et à adapter leurs stratégies et leurs instruments de pouvoir, en s’inspirant notamment des expériences et des modèles étrangers.

Ainsi, loin d’être une simple boisson ou un simple fait divers, l’histoire du café dans l’Empire ottoman nous offre une perspective éclairante et stimulante sur les transformations et les mutations qui ont jalonné la vie de cette société complexe et fascinante, au carrefour des cultures et des civilisations. En retraçant les controverses, les débats et les enjeux qui ont entouré la consommation de café au fil des siècles, nous pouvons mieux comprendre les ressorts et les mécanismes, les aspirations et les défis, qui ont animé et façonné l’histoire de l’Empire ottoman, jusqu’à sa chute et sa dissolution en 1922. Et peut-être, en savourant notre propre tasse de café, nous pouvons mieux apprécier et mesurer l’héritage et la richesse de cette histoire méconnue et fascinante, qui continue de résonner et de vibrer dans notre présent.

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Joris

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