Le cri de l’âne : une symphonie méconnue de la langue française

Un âne dans un pré en train de braire.

Il est des sons qui marquent les esprits et qui, bien que familiers, demeurent mystérieux dans leur appellation.

Parmi eux, le cri de l’âne, cet animal emblématique de la ruralité, compagnon de l’homme depuis des millénaires, dont la voix aiguë et vibrante peut surprendre, amuser ou même irriter, mais ne laisse jamais indifférent.

Plongeons-nous dans les méandres de la langue française pour démêler les fils de cette énigme linguistique et culturelle, et découvrir comment nommer cet étrange concert animal qui résonne dans nos campagnes et dans nos mémoires.

Les origines étymologiques du cri de l’âne

Commençons par explorer les racines étymologiques du terme qui désigne le cri de l’âne dans la langue française.

Pour cela, il est essentiel de se pencher sur l’étude de la langue latine, mère de notre idiome, et de suivre l’évolution de ses mots et expressions à travers les siècles.

Le mot latin qui désignait l’âne était « asinus », terme dont découlent les appellations françaises « âne » et « asin ». Le cri de cet animal, quant à lui, était nommé « hinnitus » en latin, un mot dérivé de « hinnire », verbe signifiant « hennir ». Cette racine latine a donné naissance au terme français « hennissement », qui désigne aujourd’hui le cri du cheval, mais qui, dans un premier temps, englobait celui de l’âne.

Au fil des siècles, l’usage de ce terme pour décrire le cri de l’âne s’est progressivement estompé, laissant place à une nouvelle appellation, directement issue d’une onomatopée : le braiement. Ce mot, issu du verbe « braire », est formé à partir du son « bra », qui mime la sonorité du cri de l’âne, et du suffixe « -ment », qui indique l’action ou le résultat d’une action.

Il est intéressant de noter que cette évolution terminologique reflète une tendance plus large dans la langue française, qui privilégie souvent les onomatopées pour nommer les cris des animaux, comme le « meuglement » pour la vache, le « gazouillement » pour l’oiseau ou le « croassement » pour le corbeau.

Les variations régionales et internationales du cri de l’âne

Si le terme de « braiement » semble s’être imposé comme l’appellation la plus courante pour désigner le cri de l’âne en français, il convient de souligner que cette dénomination n’est pas universelle, et que d’autres expressions existent pour qualifier ce son si particulier, en fonction des régions, des pays et des cultures.

  1. En France : outre le « braiement », certaines régions françaises utilisent des termes spécifiques pour désigner le cri de l’âne, comme le « hihan » en Normandie, le « râlage » en Bretagne ou encore le « rabioulement » en Poitou-Charentes. Ces variantes locales témoignent de la richesse et de la diversité de notre patrimoine linguistique.
  2. En Belgique : nos voisins belges, qui partagent avec nous la langue française, emploient le terme « braiement » pour décrire le cri de l’âne, bien que l’expression « hihan » soit aussi parfois utilisée dans certaines régions.
  3. En Suisse : la Suisse romande, qui constitue la partie francophone du pays, utilise elle aussi le mot « braiement » pour qualifier le cri de l’âne, bien que des variantes locales puissent exister.
  4. Au Québec : dans la Belle Province, le français québécois a conservé l’appellation « hennissement » pour désigner le cri de l’âne, témoignant ainsi de l’influence de la langue française classique sur ce dialecte nord-américain.

Enfin, il est important de mentionner que le cri de l’âne est nommé différemment dans d’autres langues et cultures, comme l’anglais (« bray »), l’espagnol (« rebuzno »), l’italien (« raglio ») ou encore l’allemand (« I-A »). Ces variations internationales démontrent que la manière dont nous nommons les sons et les cris des animaux est profondément ancrée dans nos traditions et nos représentations culturelles, et qu’elle évolue au gré des influences et des contacts entre les peuples.

Les usages littéraires et artistiques du cri de l’âne

Le cri de l’âne, en tant que phénomène naturel et culturel, a suscité l’intérêt des écrivains, des poètes et des artistes, qui ont parfois fait du « braiement » un objet de réflexion, de rêverie ou de création.

  • La fable : la littérature française compte plusieurs fables mettant en scène l’âne et son cri si caractéristique, comme « Le Lion et l’Âne chassant » de Jean de La Fontaine, où l’animal est moqué pour sa voix discordante et son incapacité à se faire passer pour un lion.
  • La poésie : certains poètes, comme Victor Hugo dans « Les Châtiments », ont évoqué le cri de l’âne pour souligner l’absurdité et la vanité des hommes, en le comparant à la voix de certains personnages politiques ou historiques.
  • La musique : plusieurs compositeurs se sont inspirés du braiement de l’âne pour créer des œuvres musicales originales, comme Camille Saint-Saëns dans « Le Carnaval des animaux », où l’âne est représenté par un violon solo imitant son cri, ou encore Gioachino Rossini dans l’ouverture de son opéra « La Cenerentola », où le cri de l’âne est suggéré par un effet comique réalisé par les instruments à vent.
  • La peinture : le cri de l’âne a été représenté dans des œuvres picturales, comme « Le Harem » de Jean-Léon Gérôme, où l’on peut observer un âne braire dans le coin inférieur droit de la toile, ajoutant ainsi une touche d’exotisme et d’humour à la scène.

Ces exemples illustrent la manière dont le cri de l’âne a été intégré et réinterprété dans différents domaines artistiques, témoignant de son pouvoir d’évocation et de sa richesse symbolique.

Les expressions et proverbes autour du cri de l’âne

La langue française regorge d’expressions et de proverbes faisant référence au cri de l’âne, révélant ainsi les connotations et les représentations associées à ce son dans notre imaginaire collectif.

Le cri de l’âne est souvent perçu comme un bruit désagréable ou ridicule, comme en témoignent les expressions « avoir un rire d’âne » ou « braire comme un âne ». Ces locutions mettent en avant la dimension comique ou déplaisante du braiement, en soulignant son aspect dissonant et peu harmonieux.

Par ailleurs, le cri de l’âne est souvent associé à l’idée d’incompétence ou d’ignorance, comme l’illustre le proverbe « on n’apprend pas aux ânes à braire », qui signifie qu’il est inutile de chercher à enseigner des choses évidentes ou naturelles à quelqu’un. De même, l’expression « il est comme l’âne de Buridan » fait référence à une fable médiévale relatant l’histoire d’un âne affamé et assoiffé, incapable de choisir entre manger et boire, et qui finit par se laisser mourir. Cette anecdote, souvent citée pour dénoncer l’indécision et l’incapacité à prendre des décisions, met en lumière le rôle de l’âne et de son cri comme symboles de l’imperfection et de la faiblesse humaines.

Enfin, le cri de l’âne peut être associé à la notion d’entêtement et de persévérance, comme le montre l’expression « être têtu comme un âne ». Dans ce cas, le braiement de l’animal est interprété comme un signe de résistance et d’obstination, illustrant ainsi la volonté de l’âne à s’affirmer et à se faire entendre, malgré les obstacles et les moqueries.

Le cri de l’âne, nommé « braiement » dans la langue française, est un phénomène sonore riche et complexe, qui révèle les multiples facettes de notre rapport à cet animal et à son univers. Qu’il soit source de rire, de réflexion ou d’inspiration, le braiement de l’âne demeure un élément incontournable de notre paysage linguistique et culturel, témoin de notre histoire et de nos émotions face à la nature et à ses mystères. Et si, en écoutant attentivement le cri de l’âne, nous prenions le temps de redécouvrir les nuances et les beautés de notre langue, cette symphonie méconnue qui nous accompagne et nous enchante depuis des siècles ?

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Joris

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